Lorsqu’elle traduit le « comment ça va ? » de la psychologue, l’interprète incline légèrement la tête et produit son énoncé avec une voix extrêmement basse. Cette traduction présente la particularité d’avoir les mêmes caractéristiques que l’énoncé produit par le soignant, tant sur le plan multimodal (inclinaison de la tête) que prosodique (voix basse et détimbrée). Si d’un point de vue linguistique, la traduction des énoncés de ce type (salutations) ne paraît pas indispensable en raison de leur récurrence (et de la connaissance qu'en a probablement le patient), elle est en revanche importante sur le plan séquentiel. En effet, elle permet non seulement de marquer le début de la consultation, mais également de structurer le positionnement respectif des participants en montrant une forte affiliation entre la psychologue et l’interprète.
Avant de poser la question « comment allez-vous ? », la psychologue laisse un très long silence, puis elle incline la tête et oriente nettement son regard vers le patient. Par ailleurs, sa question est produite de façon particulière, avec une voix très basse et totalement détimbrée. Par cette action, la psychologue enclenche littéralement l’entretien.
Au début de la séquence, la psychologue questionne le patient avec un débit assez lent, qui semble refléter une réflexion en cours d’élaboration. Par ailleurs, lorsque l’interprète traduit les paroles du patient en ce qui concerne l’utilisation du mot « espoir », un sourire anime le visage de la psychologue qui opine ensuite la tête de manière visible. Par cette action, elle manifeste visuellement qu’elle se réjouit de cette information et semble ainsi montrer son empathie envers le patient.
Le patient répond de façon indirecte à la question de la psychologue à propos de l'espoir, en évoquant un dicton. La forme de sa réponse conduit l'interprète à lui demander confirmation de sa compréhension avant de traduire (ouverture d'un échange dyadique).
L'interprète :
Dans une consultation thérapeutique au cours de laquelle le patient cherche à décrire son état affectif, l’interprète joue un rôle de passeur émotionnel, mais il doit éviter de laisser s'exprimer ses propres émotions et rester professionnel. Un des moyens de le faire est de reproduire, quand cela est possible, les marques d’affectivité exprimées par le patient (ex. des comparaisons, des expressions figurées) en ajoutant éventuellement des commentaires méta-discursifs pour expliquer certains aspects difficilement traduisibles (ex. « ici il a utilisé une expression idiomatique en albanais qui signifie… ») ou pour préciser le lien entre le discours du patient et ses manifestations non-verbales (ex. « c’est en disant ce mot qu’il a commencé à pleurer »). Il est également envisageable de réélaborer de manière personnelle les émotions du patient, en produisant des gestes ou en adaptant sa mimique et son élocution, sans cependant se laisser emporter par ces émotions.
Soignant :
Pour avoir accès à l’état émotionnel du patient, il est important d'observer dans son discours son comportement non-verbal (posture, mimique, etc.). Pour cela, il est nécessaire de réfléchir à l’emplacement des participants (ex. est-ce que le soignant arrive à regarder à la fois l’interprète et le patient ?). De plus, il ne faut pas hésiter à demander à l’interprète des précisions sur des mots-clés (ex. « est-ce que ce mot à la même connotation en albanais qu’en français ? ») ou sur le lien entre le discours du patient et ses manifestations non-verbales (ex. « est-ce que c’est en parlant de cela qu’il a commencé à pleurer ? »). Plus largement, il est important de négocier de manière explicite avec l’interprète les modalités de traduction souhaitée, en lui disant par exemple si l’on préfère une traduction plus littérale pour avoir accès par exemple aux lapsus du patient, à ses incohérences, etc.